Nos systèmes démocratiques sont en crise, si différents soient-ils les uns des autres, certains plus que d’autres nul doute. S’il n’est pas évident de connaître les raisons profondes de cette crise ou de ces crises (ce sera aux historiens du futur de les trouver), les symptômes sont en revanche assez manifestes. Le premier d’entre eux est la perte de confiance dans les élites politiques, qui nous représentent et nous gouvernent. Cette crise de confiance, qui peut trouver sa justification ici dans la déconnexion manifeste des élites avec la réalité, là dans les promesses brisées, là-bas dans la corruption généralisée, a des conséquences politiques bien différentes d’un pays à l’autre.

On peut tout de même faire des hypothèses sur les raisons de cette crise et je me permettrai d’en faire une. Les régimes démocratiques et les contextes sont bien différents d’un pays à l’autre. Qu’est-ce qui a changé partout à la fois pour provoquer cette crise généralisée ? L’une des nouveautés est l’apparition et la démocratisation d’internet, du web plus précisément, et, à travers ce biais, d’une multiplicité des sources d’information. Nos représentant.e.s ne sont peut-être pas moins bon.ne.s qu’avant mais ils/elles le paraissent car nous avons plus de moyens de nous informer sur leurs travers et le mécontentement se répand plus facilement.

Nous pouvons donc aujourd’hui prendre la mesure des limites de nos systèmes de démocratie représentative et c’est une raison bien suffisante pour souhaiter les rendre meilleurs. Peut-être l’outil qui aura permis de percer à jour les limites du système sera-t-il également utile pour en proposer un nouveau ?

C’est ce que pensent aujourd’hui beaucoup de gens : ceux/celles qui défendent la mobilisation citoyenne en ligne (par exemple Avaaz), ceux/celles qui testent la démocratie participative ou bien sont les chantres de l’open government ou de la démocratie ouverte. Et grâce à ces gens les choses avancent en effet : les mobilisations en ligne organisées par Avaaz et d’autres associations ont parfois des retombées très fortes ; le budget participatif mis en place par la maire de Paris a joui d’un grand succès ; la plate-forme Parlement & Citoyens a déjà attiré l’attention d’un grand nombre de parlementaires ; et pour la première fois en France, un projet de loi a été soumis aux amendements populaires avant son examen en Conseil des Ministres (loi sur la République Numérique).

Dans ce contexte, ce foisonnement d’idées, j’aurais tort de garder les miennes pour moi. Voici un projet qui me tourne dans la tête depuis déjà plus d’un an.

“Nul n’est censé ignorer la loi.” Ce principe de base, essentiel pour que la justice puisse fonctionner, est mis à mal, d’une part par la complexité des lois, d’autre part par la boulimie législative. Sans verser dans la pensée ultra-libérale qui consisterait à donner un grand coup de pied dans la fourmilière en supprimant, brutalement, 90% des textes de loi, on peut légitimement se demander si un peu de ménage ne serait pas nécessaire. C’est le constat qui est à la base de ce projet et c’est ce qui le distingue d’autres, plus courants, dont le but est d’inclure le/la citoyen.ne dans la préparation de nouvelles lois (toujours de nouvelles lois !).

Réapproprions-nous la loi !

La première étape, essentielle, c’est que nous soyons tous en mesure de comprendre la loi, au moins les textes qui nous concernent. Nombre de services de conseil juridique fleurissent sur le web. Certains sont très bien faits. Certains sont proposés par des associations, certains même le sont par l’État (Service-Public.fr). Cependant plutôt que de nous aider à comprendre la loi, ils nous aident à comprendre ce qu’il faut faire, ne pas faire, comment le faire. D’autre part, il y a Légifrance1. Ce site permet de lire la loi, de comprendre comment elle est faite, mais pas ce qu’elle veut dire (dans cet esprit, voir aussi des initiatives privées telles que celle de Steeve Morin).

Pour que les citoyen.ne.s lisent enfin la loi lorsqu’ils/elles se posent des questions juridiques, mettons les explications en relation avec les textes ! Créons un outil (une plate-forme) qui permette d’une part de poser des questions juridiques et d’obtenir des réponses, par des gens qui se réfèrent aux textes, d’autre part de parcourir la loi et de voir, au fil du texte, les questions/réponses qui y ont été associées. Et qui permette, si un passage de la loi n’est pas clair et que rien n’y est encore associé, de le commenter…

Dépoussiérons la loi !

La suite vient d’elle-même. Si on s’amuse à parcourir la loi grâce à un outil bien fait, on tombera nécessairement sur des anachronismes (comme cette loi qui interdisait aux femmes de porter le pantalon et qui n’avait jamais été abrogée), on tombera sur des contradictions, ou on tombera sur des textes absurdes ou scandaleux. En effet, l’entretien n’a jamais été le fort des législat.eur/rice.s. On préfère s’assurer d’avoir une loi à son nom plutôt que d’abroger les lois datées. C’est donc aux citoyen.ne.s de s’emparer de cette tâche. Un outil bien pensé peut le permettre.

À la manière d’un wiki, on commencerait par rendre la loi “éditable”. Mais il est bien évidemment plus sensible de changer la loi que d’éditer une page d’encyclopédie. Il faudrait donc faire apparaître les modifications proposées par les citoyen.ne.s pour ce qu’elles sont : des propositions (on retrouve d’ailleurs une connexion avec l’outil commented.it). Notre outil pourrait facilement aller plus loin et générer automatiquement une proposition de loi correspondant à la modification (les propositions de loi ne sont jamais que des patchs, c’est-à-dire des descriptifs à apporter au code – code civil ou code source – pour passer de la version actuelle à la version proposée).

Promouvons les changements !

La première étape est rendue possible par la plate-forme et repose sur des initiatives individuelles, ainsi que des discussions de type commentaires. La seconde étape, plus délicate, consiste à vérifier si les propositions énoncées sont plébiscitées et éventuellement à les améliorer suite aux retours d’autres citoyen.ne.s, d’expert.e.s de la question traitée, et d’expert.e.s juridiques. À partir de là, plusieurs voies sont possibles.

Les voies du consensus sont les plus faciles à emprunter et pourraient être la priorité de la plate-forme : si la proposition est massivement rejetée, elle est enterrée ; si elle est massivement plébiscitée par les citoyen.ne.s utilisant la plate-forme, elle prend son envol.

C’est alors le rôle de l’association2 soutenant la plate-forme que de lancer des enquêtes d’opinion pour évaluer si la proposition, largement soutenue par la communauté, est aussi largement soutenue chez les personnes qui n’ont pas rejoint le mouvement. Si c’est le cas et qu’il s’avère que la proposition est soutenue à l’échelle de la société toute entière, la dernière étape est celle du lobbying vis-à-vis des parlementaires pour faire inscrire la proposition de loi (toute prête) à l’agenda législatif et pour la faire voter. Cette étape ne sera sans doute pas la plus difficile : les grandes ONG sont déjà spécialistes de ce genre de choses et les parlementaires sont sensibles aux enquêtes d’opinion.

Organisons le débat

Il serait pour autant mesquin de se borner à traiter les propositions consensuelles (même si celles-ci doivent recevoir la priorité). Lorsqu’une proposition ne fait pas consensus, elle mérite un débat.

On dit que la démocratie directe ne marcherait pas parce que les sujets discutés au Parlement sont trop compliqués et demandent trop de préparation. En vrai, ils sont trop compliqués pour nos représentant.e.s qui, mal préparé.e.s, ne prennent même pas la peine de participer aux débats et font confiance au/à la seul.e spécialiste du sujet de leur groupe politique.

Un bon système démocratique laisserait débattre pour chaque sujet les milliers de vrai.e.s spécialistes qu’on peut trouver dans le pays, ensuite de quoi le peuple serait l’arbitre. Il y a, à mon avis, beaucoup à inventer pour organiser des débats sérieux, pendant lesquels les spécialistes ne s’écharperaient pas comme on le fait trop souvent en politique et ne chercheraient pas non plus à embobiner le public. Il y a un modèle à inventer pour que les contributions à haute valeur ajoutée aient de l’impact et que les mensonges et faux-arguments se retournent contre leurs auteur.e.s.

Ne passons pas à côté de la moitié des textes

La Constitution et la loi sont une chose mais beaucoup se décide également au niveau des décrets d’application, des ordonnances, des arrêtés locaux, de la réglementation européenne, des accords de branche, des traités internationaux. Tous les textes nous impactant méritent le même coup de projecteur, même s’il est clair que certains seront plus faciles à modifier que d’autres3.

  1. D’après Stéphane Cottin, Légifrance serait né dans la mouvance open law dans laquelle ce que je propose s’inscrit d’ailleurs très bien. 

  2. Oui, il faut que ce soit une association et pas une entreprise. Pour la même raison, il faut soutenir des mouvements comme Avaaz et rejeter l’entreprise “sociale” Change.org. Cette dernière cherche à construire un business model en fournissant des outils de mobilisation citoyenne : c’est déjà douteux sur le principe car le risque est de donner la priorité à ceux/celles qui ont les moyens financiers de soutenir leur pétition. En pratique, on constate que c’est exactement ce qui se passe : désormais les pétitionnaires sont sollicité.e.s après avoir signé une pétition, on leur affirme que leur argent servira à montrer la pétition à plus de monde. Or ce n’est pas un service à valeur ajoutée que fournit Change.org mais une hiérarchisation des pétitions sur leur site en fonction de l’argent que chacune d’entre elles leur aura rapporté. Les pétitions riches sont donc portées par le site au détriment des pétitions pauvres et l’argent redevient roi ! Et c’est comme ça qu’on prétend défendre la mobilisation citoyenne ? 

  3. Le point positif, c’est qu’il y a sans doute moins de ménage à faire dans les textes les plus durs à modifier (il n’y a ainsi sans doute pas grand-chose à redire à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme). Le point négatif, c’est que si on laisse passer de mauvais traités, comme TAFTA/TTIP, on peut s’en mordre les doigts pendant longtemps après.