@Zimm_i48: Il est parfois frustrant de ne pas pouvoir contribuer à améliorer un roman comme on contribue à améliorer Wikipédia. @jjvie: Fais une pull request !

Aujourd’hui les « solutions collaboratives » sont à la mode ainsi que « l’innovation ouverte » (et plus généralement ce qui est « ouvert »). Peut-on tout créer de manière collaborative ? Quand il s’agit de création artistique on est en droit d’en douter. Cependant on voit fleurir des initiatives s’engageant résolument dans cette direction.

Avec Jules Zimmermann, nous nous sommes posés la question, voilà maintenant un an, de savoir s’il était possible de créer un roman de manière entièrement collaborative (en excluant la collaboration à petite échelle de deux ou trois auteur·trice·s ou encore la collaboration limitée, où chacun·e écrit un chapitre). Nous n’avons pas encore la réponse.

Nous ne sommes pas les premiers à nous poser cette question, ce qui laisse penser que si une solution existe, elle n’est pas simple.

Solutions pour une collaboration massive (non littéraire)

Lorsqu’on observe le monde de la création collaborative, via internet, on rencontre deux modèles à succès. Tout d’abord il y a le logiciel libre, premier avatar dans l’histoire moderne de « l’ouvert » et du « collaboratif ». Le logiciel libre ne fournit pas un modèle universel de collaboration, chaque projet a le sien propre et la plupart ont d’ailleurs un modèle simple, celui où quelqu’un a tout fait dans son coin. Mais un certain modèle de collaboration pour le logiciel libre a la cote. Ce modèle, c’est celui de GitHub.

Le modèle de GitHub se décrit rapidement comme ceci : une petite équipe gère un dépôt ouvert contenant le code d’un logiciel libre. Des contributeur·trice·s extérieur·e·s soumettent des rapports de bug ainsi que des patchs. Sur GitHub, ces patchs prennent la forme de pull requests avec l’avantage qu’on peut très facilement observer les modifications proposées et en discuter (c’est certainement la clé du succès de cette plateforme, le principe de l’équipe cœur et des patchs lui étant antérieur).

L’autre modèle à succès de la collaboration massive, c’est celui de Wikipédia. Le principe du wiki est le plus simple qui soit : quiconque peut, à loisir, modifier une page quelconque de l’encyclopédie. Cependant, la clé du succès de ce modèle de collaboration réside dans le fait que l’historique des modifications est sauvegardé et que toute modification est réversible en un clic si elle s’avère inappropriée. Des modérateur·trice·s exercent donc un contrôle a posteriori, à l’aide d’outils spécialisés leur permettant de voir les modifications en temps réel. À cela on ajoutera que les pages les plus fréquemment vandalisées sont davantage protégées en y restreignant les droits de modifications aux utilisateur·trice·s enregistré·e·s, tout simplement.

Devant ces deux grands succès, on peut penser que l’une ou l’autre des solutions se transposera bien au cas de la création littéraire. Aucune modification ne devrait même être nécessaire, les deux permettant de travailler sur du texte (qu’est-ce qu’un code source sinon du texte). Voyons ce que ça a donné.

Le modèle de GitHub a bien été appliqué à l’écriture collaborative. À l’heure où j’écris ces lignes, 12 projets en rapport avec l’écriture sont mis en avant par GitHub (mise à jour : GitHub n’a jamais maintenu cette liste et a maintenant supprimé la page en question, d’où un lien vers Internet Archive). Sur ces projets, la plupart sont des tutoriels ou des manuels. Il s’avère que nous avons donc là un bon modèle, non seulement pour collaborer sur du code, mais aussi sur des tutoriels (de programmation soit dit en passant). Un seul projet sur douze est un roman mais quand on observe la page des contributions, on découvre le motif reconnaissable des projets reposant sur un seul homme : le premier contributeur (c’est-à-dire l’auteur) a écrit 100 000 lignes. Le second contributeur le plus prolifique a proposé deux modifications seulement, modifiant 10 lignes en tout.

On peut se dire que le modèle est le bon mais que l’outil est trop compliqué à utiliser pour des écrivain·e·s non-programmeur·se·s (ce qui expliquerait pourquoi tous les tutoriels ainsi écrits parlent de programmation). C’est le pari de Penflip, une copie de GitHub destinée aux écrivain·e·s. Ça a l’air plutôt réussi mais ça n’a pas l’air d’avoir donné lieu à une grande créativité jusqu’à présent.

Wikipédia étant un exemple réussi d’écriture collaborative, pourquoi ne pas faire un « wikiroman » ? Nombreux·ses sont ceux·lles qui y ont pensé. Le plus médiatique exemple a été celui lancé avec des roulements de tambours par la maison d’édition Penguins. Le projet, appelé « One million penguins », a été confié à un groupe d’étudiant·e·s chargé·e·s de le superviser. Hélas, la communication autour de ce projet a provoqué sa perte : les étudiant·e·s-éditeur·trice·s ont été débordé·e·s par le nombre de participant·e·s. De plus, en choisissant d’activer une modération a priori, l’équipe a tué l’idée géniale du wiki et s’est retrouvée avec le modèle précédent (celui de GitHub) dans un outil inadapté.

Solutions pour une collaboration restreinte

De l’autre côté du spectre des outils dits « collaboratifs » il y a Google Docs. Google Docs est un outil génial lorsque l’on veut collaborer sur un document avec relativement peu de monde. Il comporte deux modes principaux d’édition.

  • Le mode Édition fonctionne sur le même principe que le wiki. On peut simplement faire ses modifications dans le corps du texte. Comme ce n’est pas prévu pour une collaboration massive, les outils pour contrôler l’historique des modifications et revenir à une version précédente, bien qu’existant, ne sont pas aussi accessibles et évidents à utiliser.
  • Le mode Suggestion est inspiré du mode Révision ou Suivi des modifications qui existait dans Word depuis longtemps. Toute modification dans le corps du texte est traquée et marquée comme telle. À cela s’ajoute la possibilité de lancer une discussion à partir d’un commentaire ou d’une suggestion de modification.

Cette discussion en marge de la page, qui n’est rien d’autre que la note griffonnée depuis toujours dans un livre rendue sociale, est un concept qui a aussi pris récemment son essor. On la retrouve notamment chez Medium.com (chez qui les commentaires sont remplacés par des « notes » qui flottent à côté de chaque paragraphe1). Cette fonctionnalité est d’ailleurs mise en avant comme « le mécanisme central de collaboration sur Medium ».

Solution pour une collaboration massive (littéraire)

Il n’y a plus qu’un pas à faire pour proposer un outil, s’inspirant de tous ces modes de collaboration mais différent, qui soit adapté à une collaboration massive sur un texte littéraire (mais pas que).

On décrira très succinctement cet outil auquel on a donné le nom de commented.it (et dont une version simplifiée se trouve sur la page de présentation du projet unkilodeplumes — mise à jour : le système n’est pas maintenu et n’est plus en démonstration sur ce site). Il consiste à faire figurer en parallèle le texte et une colonne de commentaires. Ces commentaires peuvent être associés à des propositions de modification (pendant des pull requests de GitHub). Comme dans Google Docs, ces modifications sont clairement marquées (suppressions barrées et surlignées de rouge, ajouts soulignés et surlignés de vert). Mais contrairement à Google Docs où ces modifications apparaissent directement dans le texte, il faut là cliquer pour les afficher. Ce choix permet la collaboration massive, quand un Google Doc deviendrait surchargé avec toutes les propositions de modification, d’auteur·trice·s différent·e·s, sans rapport les unes avec les autres. Comme sur Medium, les discussions ont lieu par « blocs » de texte, et sont donc liées au contexte. Enfin, on peut voter en faveur d’une modification. Un·e adminstrateur·trice de la page peut ensuite « valider » les propositions les plus populaires en les intégrant au texte.

De là à l’écriture collaborative d’un roman…

C’était là notre défi initial et nous n’y sommes pas encore. Si nous pensons que notre concept peut être utile dans ce but, il faudra noter que commented.it (que vous pouvez aussi prononcer comment-edit) ne fournit pas de modèle pour toutes les étapes de la création. Comme tous les autres outils dont j’ai parlé ici, il est bien adapté à l’édition collaborative d’un texte. Qui se charge de l’écriture d’un texte initial ?

Dans le cas des logiciels libres, tutoriels ou pages d’encyclopédie, c’est une personne seule qui commence le travail. Puis, des paragraphes sont ajoutés, ici et là. Est-ce que ça marcherait pour un roman, dont l’écriture est traditionnellement beaucoup plus linéaire ? Il faut expérimenter pour savoir. Mais même cette étape initiale d’écriture, nous aurions voulu la remplacer par un processus collaboratif, à savoir une « foire aux scenarii » puis une « foire aux textes », selon des modes et avec des outils qu’il reste à inventer…

  1. Pourquoi les notes de Medium sont différentes et comment bien les utiliser [en anglais]